Inégalité Globale Contre Egalité Socialiste
[Il s’agit d’un ancien article publié il y a plusieurs années. Il montre une partie de l’évolution de notre économie politique].
Traduction française par Redstar
11 Mars 2009
LLCO.org
Une approche de l’économie centrée sur l’égalité en tant qu’idée régulatrice n’est en rien contraire aux approches centrées sur les mécanismes de l’exploitation. Elle n’est pas nécessairement contraire à la théorie de la valeur du travail ou aux théories de l’échange inégal. Mettre l’égalité au premier plan ne nous engage pas non plus dans le type d’ultra-égalitarisme que Mao Zedong a fameusement critiqué. Il est évident que dans certains cas, des inégalités sont nécessaires et même souhaitables. L’égalité exige que nous agissions pour réduire considérablement les écarts entre les populations riches et pauvres, en particulier les écarts entre le Premier et le Tiers Monde. L’égalité exige que le produit social mondial soit réparti de la meilleure façon possible entre les habitants de la planète.
Certains pourraient objecter qu’une répartition socialiste n’est pas une répartition égalitaire. Il s’agit plutôt d’une distribution où la richesse est répartie, non pas de manière égale, mais entre ceux qui font le travail et les pays qui font le travail : celui qui ne travaille pas ne mangera pas. Si certains ont affirmé que la théorie de la valeur du travail est nécessaire pour expliquer les mécanismes de l’exploitation, le principe de distribution qui lui est associé n’est pas adéquat pour remédier au problème de l’inégalité entre les pays généré par l’impérialisme. Un tel principe de répartition n’aborde pas le problème du sous-développement. Il est certain que les populations des régions les plus sous-développées du Tiers Monde, qui ont été rendues improductives par l’impérialisme, ne devraient pas continuer à vivre dans une pauvreté extrême dans le cadre d’un socialisme mondial. Des pays entiers de l'”armée de réserve industrielle” du Tiers Monde ne sont peut-être pas productifs à l’heure actuelle, mais les ressources et le développement ne devraient-ils pas être dirigés vers ces populations dans le cadre du socialisme ? Selon les démographes, pour la première fois dans l’histoire, la majorité de la population mondiale vit dans les villes. La nouvelle “campagne mondiale”, les zones de base des guerres populaires mondiales, inclura les bidonvilles des mégapoles du Tiers Monde. Ces bidonvilles sont moins des sites de production que des fléaux qui montrent à quel point l’anarchie de la production du capitalisme n’a pas réussi à intégrer d’énormes segments de la population humaine dans la production. Le socialisme doit certainement s’adresser à ces vastes populations qui seront les guerriers du peuple dans les décennies à venir.
L’économie mondiale est un lien de causalité où la valeur, sous diverses formes, est transférée d’une personne à l’autre dans le monde entier. Par conséquent, si une personne reçoit plus qu’une part égale, quelqu’un d’autre reçoit moins quelque part dans le lien de causalité. De même, si quelqu’un reçoit moins, quelqu’un d’autre reçoit plus. L’impérialisme a créé un ordre mondial dans lequel ceux qui reçoivent moins et ceux qui reçoivent plus correspondent respectivement aux populations du Tiers Monde et du Premier Monde. En utilisant l’égalité comme idée régulatrice, on doit considérer que l’on est exploité lorsqu’on ne reçoit pas une part égale, équitable, juste. On est exploité lorsqu’on reçoit plus qu’une part égale, équitable, juste. Un pays ou une région est exploité, fait partie du Tiers Monde, lorsque sa population est majoritairement composée d’exploités qui n’ont pas une part égale. Un pays ou une région doit être considéré comme faisant partie du Premier Monde lorsque sa population est majoritairement composée d’exploiteurs qui disposent d’une part plus qu’égale. (1)
Un rapide coup d’œil sur les inégalités dans le monde
L’écart de revenus entre les pays riches et impérialistes et les pays pauvres de la campagne mondiale témoigne du formidable parasitisme des premiers sur les derniers. L’écart de revenu entre le cinquième de la population mondiale dans les premiers et le cinquième dans les seconds était de 74 à 1 en 1997, contre 60 à 1 en 1990 et 30 à 1 en 1960.
Aujourd’hui, toute la population du Premier Monde fait partie des 20 % les plus riches du monde en termes de revenus, qui possèdent plus de 85 % de la richesse mondiale. Mais si plus de 50 % des actifs mondiaux sont détenus par les 2 % d’adultes les plus riches (dont la plupart vivent dans le Premier Monde), la majorité du Premier Monde (moins de 20 % de la population mondiale) possède 35 % de la richesse mondiale. 80 % de la population mondiale doit se contenter de posséder 15 % de la richesse mondiale. Ce monopole du Premier Monde sur les actifs se traduit par une part extrêmement disproportionnée de la consommation mondiale. Dans l’étude citée de 1998, 20 % de la population des pays développés consommaient 86 % des biens mondiaux. Ce degré étonnant de parasitisme est souligné par une étude plus récente de la Banque mondiale, datant de 2002, qui indique que les 50 millions de personnes les plus riches d’Europe et d’Amérique du Nord ont le même revenu que 2,7 milliards de pauvres. (2)
Après des décennies de “développement” et de libéralisation des marchés, de programmes d’ajustement structurel et de néolibéralisme du consensus de Washington, le revenu moyen du Tiers-Monde ne représente toujours qu’environ 15 % de celui du Premier-Monde en termes de parité de pouvoir d’achat, et plutôt 5 % en termes de taux de change. (3)
Le parasitisme se reflète également dans la consommation. Le cinquième de la population mondiale vivant dans les pays aux revenus les plus élevés consomme :
86 % du PIB mondial – le cinquième inférieur ne consomme que 1 %.
82 % des marchés d’exportation mondiaux – le cinquième inférieur seulement 1 %.
68 % des investissements directs étrangers – le cinquième inférieur ne représente que 1 %.
74 % des lignes téléphoniques dans le monde – 1,5 % pour le dernier cinquième.
93,3 % des utilisateurs d’Internet – 0,2 % pour le dernier cinquième.
84 % du papier dans le monde – 1,1 % du dernier cinquième.
87 % des véhicules dans le monde – moins de 1 % pour le dernier cinquième.
58 % de l’énergie totale – 4 % pour le dernier cinquième. (4)
La majeure partie de l’augmentation de la consommation mondiale au cours des années 1990 a profité à ceux qui se trouvaient déjà dans les 10 % supérieurs de la distribution mondiale des revenus. Entre 1993 et 2001, quelque 50 à 60 % de l’augmentation de la consommation mondiale sont revenus à ceux qui vivaient avec plus de 10 000 dollars PPA en 1993, soit environ 10 % de la population mondiale. Parmi ces 10 %, les 4/5 vivent dans les pays à revenu élevé et la plupart des autres en Amérique latine. Les 40 à 50 % restants de l’augmentation de la consommation mondiale reviennent principalement à ceux qui vivent avec environ 3 000 à 6 000 dollars PPA, dont la majorité fait partie de la classe moyenne en plein essor de la Chine semi-compradore. “La quasi-totalité de l’augmentation a profité aux personnes vivant avec moins de 1 000 dollars PPA par an (2,73 dollars par jour). La plupart de ces derniers vivaient en Asie du Sud, en Afrique et en Chine”. (5)
Le travailleur du Premier Monde n’a rien à gagner d’une répartition égalitaire des richesses mondiales. Si un ordre socialiste existait entre les peuples et les régions, il est impossible d’ignorer que les populations du Premier Monde dans leur ensemble seraient perdantes en termes de revenus, de biens, d’opportunités de vie, etc. Le travailleur du premier monde n’a donc que peu d’intérêt à renverser le statu quo en faveur du socialisme, en faveur de l’égalité.
Le scénario révisionniste est prévisible. Que les révisionnistes choisissent de justifier ou d’expliquer ces disparités mondiales de richesse par des différences de “productivité” ou par l’éthique protestante du travail, la destinée manifeste, la supériorité raciale des Blancs ou la prédestination ne fait pas la moindre différence. Comme les autres impérialistes, les révisionnistes du Premier Monde se livrent à toutes sortes de contorsions idéologiques pour justifier le niveau de vie actuel des “travailleurs” du Premier Monde. “Non seulement ils soutiennent que le niveau de vie impérial actuel du Premier Monde est mérité, mais que les travailleurs du Premier Monde méritent encore plus du gâteau mondial. Karl Marx se retournerait dans sa tombe, Lénine aussi, s’ils étaient là pour entendre ces salauds justifier le parasitisme en leur nom. La réalité est importante. La théorie doit correspondre à la réalité, elle doit prédire et expliquer, elle doit être scientifique si elle doit servir de guide à l’action. Le communisme est une paire de lunettes dont les verres permettent aux masses de voir le monde tel qu’il est. Nous pouvons trébucher à l’aveuglette ou choisir la réalité, le révisionnisme ou le communisme éclairé.
Notes
- In value terms, it is true that the poorest people in the world are often those who are unable to find work and, hence, are not technically exploited. But since exploitation has taken on profound geo-political dimensions after World War II, if a group of people lives in an exploited nation (a nation which turns over the bulk of its surplus value to the First World) and is paid below the international value of labor, then it is exploited and its lumpen status ensures competition for wages drives down their value in their country, contributing to superprofits.
- United Nations Human Development Report 1998, ‘Consumption for Human Development’ (United Nations Development Programme (UNDP), New York 1998) online: http://hdr.undp.org/en/reports/global/hdr1998/
- Robert Hunter Wade, ‘Globalisation, Growth, Poverty, Inequality, Resentment, and Imperialism,’ in John Ravenhill, (ed.), Global Political Economy (Oxford University Press, 2008), p. 378.
- United Nations Human Development Report 1999, ‘Globalization with a Human Face’, (United Nations Development Programme (UNDP), New York 1998) online: http://hdr.undp.org/en/reports/global/hdr1999/
- Wade, 2008, p. 380.